La vérité du drame est dans ce pur espace qui règne entre la stance heureuse et l'abîme qu'elle côtoie : cet inapaisement total, ou cette ambiguïté suprême. Saint-john Perse
Passée au bleu Joue sur un canapé crevé Le silence a des remords.
J’ai suivi les murs d’une rue très longue Des pierres des pavés des verdures De la terre de la neige du sable Des ombres du soleil de l’eau Vie apparente
De garde au dernier amour les ifs retiennent les mors de l’absolu enfin trouvé, sans tourner le dos à la page
L’équin-roc armé pour la décharge est attelé reins bandés contre les oeillères d’une cécité dévorante
Les frères rient peau lin
Châssis tendu
au mou de la relâche des écoutes laissant s’égarer la toile au contre vent d’une rancune étrangère au courant
Récitation
La vertu ce cornet des fortunes
Auditivement les vocations l’estime l’ambition
Rase les têtes confrontées
Plutôt s’armer
Contre le sycomore feuilleté et le couteau.
Dans son armure insensibilisée
Dans son armure qui ne résonne sans fausse honte
Qu’à partir du dernier baiser
Le pirate celui qui n’a pas de plume au bonnet
Celui qui provoque l’aboiement des corbeaux
Le pirate l’ennui l’ennemi des attentes sous la pluie
Le réveille-matin à maintien de religieuse
A contenance d’huile
Le réveille-matin qui fait des copeaux du dormeur
Et ne lui laisse que le temps de ne pas s’habiller.
Des semaines et des mois et des années de semailles Par des chemins qu’on ne touche même pas de la
canne Une cervelle sabotée par les germes de mauvaise
volonté
On ne pleure pas et si l’on ne pleure pas c’est que le feu
Gâche le plâtre qui maintient Je regard dans ses rives Dessèche tout passe par la porte animale s’affole.
Au delà du feu il n’y a pas la cendre Au delà de la cendre il y a Je feu.
Des éventaires écornés d’athlète mugissent sous la pluie
Ils réclament aux coquettes des rires tous les pavés du rire
Et des gourmettes de courtoisie pour enchaîner le poncif
La poussière fouille plus avant dans les poches
Mais elle n’arrivera qu’après la troue
Pour célébrer cette vertu qui n’est pas de moi.
Au delà du feu il n’y a pas la cendre Au delà de la cendre il y a le feu.
Paul Eluard
On est jamais éteint au coeur de ce qui a fait l’espoir durant ses batailles et affronter la vague au plus fort du rugissant. Laisser dépérir cette force est contraire à sa nature-propre, seulement toute plante abandonnée d’ô meurt en perdant toute résistance
Sur l’écran le vieux film passé ces derniers jours allume la morale véridique
Au terme d’un long voyage, je revois toujours ce corridor, cette taupe, cette ombre chaude à qui l’écume de mer prescrit des courants d’air purs comme de tout petits enfants, je revois toujours la chambre où je venais rompre avec toi le pain de nos désirs, je revois toujours ta pâleur dévêtue qui, le matin, fait corps avec les étoiles qui disparaissent. Je sais que je vais encore fermer les yeux pour retrouver les couleurs et les formes conventionnelles qui me permettent de t’aborder. Quand je les rouvrirai, ce sera pour chercher dans un coin de la pièce l’ombrelle corruptible à manche de pioche qui me fait redouter le beau temps, le soleil, la vie, car je ne t’aime plus au grand jour, car je regrette le temps où j’étais parti à ta découverte et le temps aussi où j’étais aveugle et muet devant l’univers incompréhensible et le système d’entente incohérent que tu me proposais.
N’as-tu pas suffisamment porté la responsabilité de cette candeur qui m’obligeait à toujours retourner tes volontés contre toi?
Que ne m’as-tu donné à penser! Maintenant, je ne viens plus te voir que pour être plus sûr du grand mystère que constitue encore l’absurde durée de ma vie, l’absurde durée d’une nuit.
Quand j’arrive, toutes les barques s’en vont, l’orage recule devant elles. Une ondée délivre les fleurs obscures, leur éclat recommence et frappe de nouveau les murs de laine. Je sais, tu n’es jamais sûre de rien, mais l’idée du mensonge, mais l’idée d’une erreur sont tellement au-dessus de nos forces. Il y a si longtemps que la porte têtue n’avait pas cédé, si longtemps que la monotonie de l’espoir nourrissait l’ennui, si longtemps que tes sourires étaient des larmes.
Nous avons refusé de laisser entrer les spectateurs, car il n’y a pas de spectacle. Souviens-toi, pour la solitude, la scène vide, sans décors, sans acteurs, sans musiciens. L’on dit : le théâtre du monde, la scène mondiale et, nous deux, nous ne savons plus ce que c’est. Nous deux, j’insiste sur ces mots, car aux étapes de ces longs voyages que nous faisions séparément, je le sais maintenant, nous étions vraiment ensemble, nous étions vraiment, nous étions, nous. Ni toi, ni moi ne savions ajouter le temps qui nous avait séparés à ce temps pendant lequel nous étions réunis, ni toi, ni moi ne savions l’en soustraire.
Une ombre chacun, mais dans l’ombre nous l’oublions.
La lumière m’a pourtant donné de belles images des négatifs de nos rencontres. Je t’ai identifiée à des êtres dont seule la variété justifiait le nom, toujours le même, le tien, dont je voulais les nommer, des êtres que je transformais comme je te transformais, en pleine lumière, comme on transforme l’eau d’une source en la prenant dans un verre, comme on transforme sa main en la mettant dans une autre. La neige même, qui fut derrière nous l’écran douloureux sur lequel les cristaux des serments fondaient, la neige même était masquée. Dans les cavernes terrestres, des plantes cristallisées cherchaient les décolletés de la sortie.
Ténèbres abyssales toutes tendues vers une confusion éblouissante, je ne m’apercevais pas que ton nom devenait illusoire, qu’il n’était plus que sur ma bouche et que, peu à peu, le visage des tentations apparaissait réel, entier, seul.
C’est alors que je me retournais vers toi.
Réunis, chaque fois à jamais réunis, ta voix comble tes yeux comme l’écho comble le ciel du soir. Je descends vers les rivages de ton apparence. Que dis-tu? Que tu n’as jamais cru être seule, que tu n’as pas rêvé depuis que je t’ai vue, que tu es comme une pierre que Ton casse pour avoir deux pierres plus belles que leur mère morte, que tu étais la femme d’hier et que tu es la femme d’aujourd’hui, qu’il n’y a pas à te consoler puisque tu t’es divisée pour être intacte à l’heure qu’il est.
Toute nue, toute nue, tes seins sont plus fragiles que le parfum de l’herbe gelée et ils supportent tes épaules. Toute nue. Tu enlèves ta robe avec la plus grande simplicité. Et tu fermes les yeux et c’est la chute d’une ombre sur un corps, la chute de l’ombre tout entière sur les dernières flammes.
Les gerbes des saisons s’écroulent, tu montres le fond de ton cœur. C’est la lumière de la vie qui profite des flammes qui s’abaissent, c’est une oasis qui profite du désert, que le désert féconde, que la désolation nourrit. La fraîcheur délicate et creuse se substitue aux foyers tournoyants qui te mettaient en tête de me désirer. Au-dessus de toi, ta chevelure glisse dans l’abîme qui justifie notre éloignaient.
Que ne puis-je encore, comme au temps de ma jeunesse, me déclarer ton disciple, que ne puis-je encore convenir avec toi que le couteau et ce qu’il coupe sont bien accordés. Le piano et le silence, l’horizon et l’étendue.
Par ta force et par ta faiblesse, tu croyais pouvoir concilier les désaccords de la présence et les harmonies de l’absence, une union maladroite, naïve, et la science des privations. Mais, plus bas que tout, il y avait l’ennui. Que veux-tu que cet aigle aux yeux crevés, retienne de nos nostalgies?
Dans les rues, dans les campagnes, cent femmes sont dispersées par toi, tu déchires la ressemblance qui les lie, cent femmes sont réunies par toi et tu ne peux leur donner de nouveaux traits communs et elles ont cent visages, cent visages qui tiennent ta beauté en échec.
Et dans l’unité d’un temps partagé, il y eut soudain tel jour de telle année que je ne pus accepter. Tous les autres jours, toutes les autres nuits, mais ce jour-là j’ai trop souffert. La vie, l’amour avaient perdu leur point de fixation. Rassure-toi, ce n’est pas au profit de quoi que ce soit de durable que j’ai désespéré de notre entente. Je n’ai pas imaginé une autre vie, devant d’autres bras, dans d’autres bras. Je n’ai pas pensé que je cesserais un jour de t’être fidèle, puisqu’à tout jamais j’avais compris ta pensée et la pensée que tu existes, que tu ne cesses d’exister qu’avec moi.
J’ai dit à des femmes que je n’aimais pas que leur existence dépendait de la tienne.
Et la vie, pourtant, s’en prenait à notre amour. La vie sans cesse à la recherche d’un nouvel amour, pour effacer l’amour ancien, l’amour dangereux, la vie voulait changer d’amour.
Principes de la fidélité… Car les principes ne dépendent pas toujours de règles sèchement inscrites sur le bois blanc des ancêtres, mais de charmes bien vivants, de regards, d’attitudes, de paroles et des signes de la jeunesse, de la pureté, de la passion. Rien de tout cela ne s’efface.
Je m’obstine à mêler des fictions aux redoutables réalités. Maisons inhabitées, je vous ai peuplées de femmes exceptionnelles, ni grasses, ni maigres, ni blondes, ni brunes, ni folles, ni sages, peu importe, de femmes plus séduisantes que possibles, par un détail. Objets inutiles, même la sottise qui procéda à votre fabrication me fut une source d’enchantements. Etres indifférents, je vous ai souvent écoutés, comme on écoute le bruit des vagues et le bruit des machines d’un bateau, en attendant délicieusement le mal de mer. J’ai pris l’habitude des images les plus inhabituelles. Je les ai vues où elles n’étaient pas. Je les ai mécanisées comme mes levers et mes couchers. Les places, comme des bulles de savon, ont été soumises au gonflement de mes joues, les rues à mes pieds l’un devant l’autre et l’autre passe devant l’un, devant deux et fait le total, les femmes ne se déplaçaient plus que couchées, leur corsage ouvert représentant le soleil. La raison, la tête haute, son carcan d’indifférence, lanterne à tête de fourmi, la raison, pauvre mât de fortune pour un homme affolé, le mât de fortune du bateau… voir plus haut.
Pour me trouver des raisons de vivre, j’ai tenté de détruire mes raisons de t’aimer. Pour me trouver des raisons de t’aimer, j’ai mal vécu.
Au terme d’un long voyage, peut-être n’irai-je plus vers cette porte que nous connaissons tous deux si bien, je n’entrerai peut-être plus dans cette chambre où le désespoir et le désir d’en finir avec le désespoir m’ont tant de fois attiré. A force d’être un homme incapable de surmonter son ignorance de lui-même et du destin, je prendrai peut-être parti pour des êtres différents de celui que j’avais inventé.
La simplicité même écrire Pour aujourd’hui la main est là.
Il est extrêmement touchant
De ne pas savoir s’exprimer
D’être trop évidemment responsable
Des erreurs d’un inconnu
Qui parle une langue étrangère
D’être au jour et dans les yeux fermés
D’un autre qui ne croit qu’à son existence.
Les merveilles des ténèbres à gagner D’être invisibles mais libératrices Tout entières dans chaque tête Folles de solitude
Au déclin de la force et de la forme humaine
Et tout est dans la tête
Aussi bien la force mortelle que la forme humaine
Et tout ce qui sépare un homme de lui-même
La solitude de tous les êtres.
Il faut voir de près Les curieux Quand on s’ennuie.
La violence des vents du large Des navires de vieux visages Une demeure permanente Et des armes pour se défendre Une plage peu fréquentée Un coup de feu un seul Stupéfaction du père Mort depuis longtemps.
Sans en être très fier en évitant mes yeux Cet abandon sans découvrir un grief oublié
En évitant mes yeux il abaisse Les verres sur ses yeux L’animal abandonne sa proie Sa tête remue comme une jambe Elle avance elle recule Elle fixe les limites du rire Dégrafe les parterres de la dérision Toutes les choses semblables.
Par-dessus les chapeaux
Un régiment d’orfraies passe au galop
C’est un régiment de chaussures
Toutes les collections des fétichistes déçus
Allant au diable.
Des cataclysmes d’or bien acquis Et d’argent mal acquis.
Tous ces gens mangent
Ils sont gourmands ils sont contents
Et s’ils rient ils mangent plus.
Je dénonce un avocat je lui servirai d’accusé Je règne à tout jamais dans un tunnel.
Alors
L’eau naturelle
Elle se meurt près des villas
Le patron pourrait parler à son fils qui se tait Il ne parle pas tous les jours
Le tout valable pour vingt minutes Et pour quatre personnes Vous enlève l’envie de rire
Le fils passe pour un ivrogne.
Les oiseaux parfument les bois
Les rochers leurs grands lacs nocturnes.
Gagner au jeu du profil Qu’un oiseau reste dans ses ailes.
A l’abri des tempêtes une vague fume dans le soir.
Une barre de fer rougie à blanc attise l’aubépine.
Par leur intelligence et leur adresse Une existence normale
Par leur étrange goût du risque Un chemin mystérieux
A ce jeu dangereux L’amertume meurt à leurs pieds.
Pourquoi les fait-on courir On ne les lait pas courir L’arrivée en avance Le départ en retard
Quel chemin en arrière Quand la lenteur s’en mêle
Les preuves du contraire Et l’inutilité.
Une limaille d’or un trésor une flaque De platine au fond d’une vallée abominable Dont les habitants n’ont plus de mains Entraîne les joueurs à sortir d’eux-mêmes.
Immobile
J’habite cette épine et ma griffe se pose
Sur les seins délicieux de la misère et du crime.
Le salon à la langue noire lèche son maître Il rembaume il lui tient lieu d’éternité.
Le passage de la Bérésina par une femme rousse à grandes mamelles.
Il la prend dans ses bras Lueurs brillantes un instant entrevues Aux omoplates aux épaules aux sems Puis cachées par un nuage.
Elle porte la main à son cœur Elle pâlit elle frissonne Qui donc a crié?
Mais l’autre s’il est encore vivant
On le retrouvera
Dans une ville inconnue.
Le sang coulant sur les dalles
Me fait des sandales
Sur une chaise au milieu de la rue
J’observe les petites filles créoles
Qui sortent de l’école en fumant la pipe.
Par retraites il faut que le béguinage aille au feu.
Il ne faut pas voir la réalité telle que je suis.
Par exception la calcédoine se laisse prendre A la féerie de la gueule des chiens.
Toute la vie a coulé dans mes rides
Comme une agate pour modelez
Le plus beau des masques funèbres.
Demain le loup fuira vers les sombres étoffes de ta
peur Et d’emblée le corbeau renaîtra plus rouge que jamais Pour orner le bâton du maître de la tribu.
Les arbres blancs les arbres noirs
Sont plus jeunes que la nature
Il faut pour retrouver ce hasard de naissance
Vieillir.
Soleil fatal du nombre des vivants On ne conserve pas ton coeur.
Peut-il se reposer celui qui dort
II ne voit pas la nuit ne voit pas l’invisible
II a de grandes couvertures
Et des coussins de sang sur des coussins de boue
Sa tête est sous les toits et ses mains sont fermées
Sur les outils de la fatigue
Il dort pour éprouver sa force
La honte d’être aveugle dans un si grand silence.
Aux rivages que la mer rejette
Il ne voit pas les poses silencieuses
Du vent qui fait entrer l’homme dans ses statues
Quand il s’apaise.
Bonne volonté du sommeil D’un bout à l’autre de la mort.
Les yeux cernés à la façon des châteaux dans leur mine
Une bure de ravins entre elle et son dernier regard
Par un temps délicieux de printemps
Quand les fleurs fardent la terre
Cet abandon de tout
Et tous les désirs des autres à son gré
Sans qu’elle y songe
Sa vie aucune vie sinon la vie
Sa poitrine est sans ombre et son front ne sait pas
Que sa chevelure ondulée le berce obstinément.
Des mots quels mots noir ou Cévennes
Bambou respire ou renoncule
Parler c’est se servir de ses pieds pour marcher
De ses mains pour racler les draps comme un mourant
Les yeux ouverts sont sans serrure
Sans effort on a la bouche et les oreilles
Une tache de sang n’est pas un soleil accablant
Ni la pâleur une nuit sans sommeil qui s’en va.
La liberté est plus incompréhensible encore que la visite du médecin
De quel médecin une chandelle dans le désert Au fond du jour la faible lueur d’une chandelle L’éternité a commencé et finira avec le lit Mais pour qui parles-tu puisque tu ne sais pas Puisque tu ne veux pas savoir Puisque tu ne sais plus Par respect Ce que parler veut dire.