JE LUI MONTRE LA TRAME DU CHANT
Mis dans l’obligation de me plier au bon vouloir d’Orange qui ne me donne plus de connexion internet régulière en instance de fibre depuis, oh oui depuis…mais n’oublie pas de me pomper son montant, je n’écris plus
Alors ce soir je demande à Aragon de donner son avis
sur ce bordel qu’il n’a pas vécu…
Niala-Loisobleu – 11/02/20
Tout à coup me relisant j’ai du chemin que je prends conscience et j’éprouve le mécanisme en moi de ma parole les hasards semble-t-il de son développement une vieille
rengaine un instant m’y tient lieu d’explication j’avais noté cela quelque part il y a des mois voyons
une feuille de papier griffonnée avec des noms de poètes comme
une note de blanchisseuse
et dans le coin supérieur à droite un pense-bête
La recherche des matériaux la douleur du chant par-ci par-là des broutilles utilisées
rayées
une rime à employer et pourquoi
Chartres mais voici ce que je cherchais
Toute poésie est
Vête qui entraîne le savoir au-delà de lavoir
Me voilà bien avancé j’ai l’horreur en général de ce jargon philosophique il est vraisemblable que c’est la dernière rature
dans la dernière ligne ce
Samothrace introduit après coup le vers d’abord autrement fait où il n’y avait que
l’escdier ténébreux une elliptique vision du
Louvre et
puis comme un point sur les *
Samothrace qui me force la main traçant presque malgré moi cette courbe détournée affirmant avant que j’en puisse contrôler rien
ce caractère périssable de l’Histoire et cet effacement du passé cette mortalité de l’événement contraire ah contraire à ce que j’eusse pensé
de sang-froid les pieds sur la terre et non pas entraîné par l’écriture
Alors
avec la crainte d’offenser ma propre idéologie je me reprends je relis je redis pour toi ces vers à ta semblance
ces vers qui retrouvaient un rythme ailleurs fixé le rythme d’un certain thème d’Eisa dans mes poèmes de naguère et de jadis
comme si toujours à ton entrée il fallait bien ce mélodrame afin
que ceux-là qui des accoudoirs de velours dans l’ombre écoutent l’opéra sachent
que c’est toi qui viens dans la demi-lumière enchantée que c’est toi
dont la voix s’élève au-dessus des violons de la fosse toi toujours et non pas l’un de ces êtres mythiques de la scène
Isolde ou je ne sais qui je relis ces vers et je vois
tout ce qui d’eux tomba chemin faisant de ma pensée ses étapes barrées les repentirs ou les retours les phrases non écrites dont vaguement en moi demeure la mémoire et
voyage de l’esprit que personne après moi ne fera plus s’en tenant
à ce que la plume a laissé sur le papier bleui cette pauvreté du signe comme une abréviation de la chose signifiée et que d’une lettre après tout sait un
buvard
Et je voulais ici m’en revenir en arrière et trouvant le souffle court à ce dernier couplet l’emplir après coup le nourrir d’une interpolation de strophes c’est-à-dire de
huit vers ajoutés dans son déroulement comme la forme ici le demande afin qu’on ne puisse y voir les coutures
respectant l’alternance des rimes je voulais
au moins de huit vers donner un peu d’ampleur à cette étoffe mettre
un peu de flou dans ce voile de nuit allonger
la robe on ne fait plus de traîne aux robes c’est dommage mais pour toi
la mode n’y peut rien toujours derrière toi longuement il y a suivant tes pas quelque chose d’obscur un écho de ta marche un accent renouvelé de ta musique
et c’est mon âme que tu emportes après toi mon âme en forme de branche morte
mon âme par les tapis et les mousses
mon âme sur les pierres et les pavés à ta remorque
en train de rajouter toujours à ton passage une remarque
mon âme en forme de regret
mon âme dont les gens vont rire disant qu’elle n’est
que l’esprit de l’escalier
J’essayerai pour toi cette fois de me suivre
de reconstituer mon itinéraire tâtonnant la genèse
comme dit l’autre du poème au-delà de cette figure de proue
dont tout d’abord remontant le torrent je découvre
qu’elle ne me vient point comme il semble du
Louvre mais
de trois strophes plus haut cette comparaison je dirais innocente
je vis comme un marin et estera par quoi s’engendre.
souterrainement en moi la statue
qui va surgir des navires de guerre au milieu de l’Archipel à la gloire
de
Démétrios
Poliorcète
Au-delà
je me proposais donc de ramener à la lumière un moment de moi-même
un moment entre ce marin que je dis et cette
Victoire
une incidente essentielle et qui n’a point trouvé reflet
dans l’encre
par quoi ce cri de moi dont depuis tant d’années
chaque jour je te lasse
est amené
ce je
Vaime à quoi j’aurais honte lui donnant parure
ornement variations ainsi qu’il te plaira dire
ce je
Vaime que tu crois machinal et pourtant
le résumé de tout ce que j’ai jamais appris au monde
ce je
Vaime ponctuation pour moi du drame d’être
et que j’ai beau vouloir t’épargner je ne puis en moi contenir
et tu tournes la tête irritée et cherchant
pour ne plus m’entendra le sommeil où tu es seule et sourde à moi
le sommeil où tu fuis ces mots qu’à côté de toi je murmure
les yeux ouverts sur ton absence au creux noir où sonnent les heures le sommeil qui te vole à moi
Ah je n’ai jamais pu m’habituer que tu m’échappes
Il faut d’autres mots pour te tenir éveillée que ce malheureux je
Vaime dans ma bouche
Je vais te dire comment le poème se forme espérant peut-être ainsi rivaliser avec la nuit
Je disais donc que toute poésie est l’être qui entraîne-le savoir au-delà de l’avoir c’est-à-dire au-delà de la donnée de l’expérience directe de
l’acquis de la connaissance énu-mérative et le poète celui qui crée au moyen d’une hypothèse image aperçoit à partir de la réalité un rapport jamais
vu par un chemin qui est celui de l’invention musicale à la fois et de l’imagination scientifique comme s’il était doué d’un sens inconnu supplémentaire et c’est tantôt
ce que je tentais dire parlant du radar poésie
Je pourrais justifier de cent façons ce mariage de mots toutes vraies dans l’instant où je formule l’une ou les autres mais tout ce qui cherche à résumer l’acheminement de
la pensée aussi bien
oubliées ses épures successives les idées intermédiaires qui traversent la tête le temps que la plume en l’air je me crois obsédé de la seule recherche sonore
ajustant à des rimes choisies le mouvement de mon esprit les rejetant pour des raisons diverses comme leur emploi trop récent déjà dans le poème leur ressemblance avec
d’autres chansons ou la banalité ou ce sentiment désagréable de la simple répétition d’un mot trop voyant ou l’insuffisance de la langue à offrir dans son
vocabulaire un rapprochement satisfaisant de sonorités similaires
tout ce qui cherche à résumer l’acheminement de la pensée à mes yeux intérieurs prend soudain lumière de mensonge et les voies de l’idée en moi toutes
précaires à expliquer où je déborde ce carrefour aveuglant où je me dis c’est là
Si par-delà ces explications parcellaires je ne découvre pas en moi l’élément organisateur une autre sorte d’image le terme commun à plusieurs images qui ne sera pas
formulé une espèce de miroir secret où la lumière se réfracte et change de nature
et peut-être était-ce là ce frappement du bec au volet qu’avoue
Edgar
Poe cette obsession du corbeau comme solution du poème bien qu’à ce qu’il me semble il y ait une sorte de charlatanerie à cette dissection sèche du never more de l’immortel
never more
Mais ici nul corbeau n’était mon ombre il s’agissait d’un oiseau tout autre et non point cette fois pour sa valeur de symbole car la chauve-souris dont j’étais hanté je pouvais
dire d’où elle était sortie me visitant à ce moment du dialogue avec
Eisa et par deux fois dans tes écrits la chauve-souris s’est levée et je voyais d’abord cette scène effrayante de
Roses à crédit où
Martine trahie devant l’homme qu’elle aime se change en chauve-souris battant les murs de la chambre les parois de son malheur
et le mystère de cette métamorphose comme malgré moi s’éclaire d’une autre* chauve-souris en passant il y a des lampes qu’on appelle ainsi d’une autre chauve-souris dont tu
parlais ailleurs et pendant un certain temps je m’égare cherchant où cette bête s’accroche dans quels cheveux au jardin le soir quel corridor à l’angle d’un plafond puis
soudain je la retrouve précisément liée au mot radar c’est dans ce discours de
Saint-Denis où tu fis état précisément parlant de la création poétique de cette donnée récente de la science le fait que la chauve-souris se guide non
point comme nous croyons faire avec les yeux mais par un sens inconnu un radar situé dans sa langue si bien que si l’on cloue son bec la voilà parfaitement incapable de sortir de sa
cage
ouverte comme
Martine comme
Martine et n’aviez-vous pas reconnu
Martine à
Pathmos dans le discours de
Jean l’Évangéliste
et ce battement d’aile en moi tandis que j’écrivais engendre ce radar poésie à la fois dans le déroulement d’une logique insuffisante du poème et la hantise intense
inexprimée qui me vient de toi comme tout ce qu’éveille dans ma profondeur l’écho inimitable la rime à proprement parler la rime mentale de l’amour et il n’y a d’apocalypse
aujourd’hui pour moi que celle par quoi dans
Le
Cheval roux j’ai 6enti que peut-être peut-être tu m’avais aimé
Tout ceci simple prologue à ce que j’allais dire
J’avais donc relu ces vers qui précèdent y trouvant comme une grande sécheresse dans la gorge le sentiment d’un manque d’une obscurité
D’une chose qui n’est pas dite jusqu’au bout
D’une chose qui demande encore à naître proche voisine sous-jacente mais cachée encore
encore inaccomplie
Aussi voulais-je réintroduire deux strophes deux quatrains complémentaires dans la substance même du poème que ce radar ne m’arrive plus avec cet air gratuit cet arbitraire
apparent de l’expression ce caractère baroque du geste et je cherchais à reprendre le fil de ma pensée cela se présentait d’abord et naturellement sous la forme d’un
alexandrin
Toute l’expérience humaine est dans ma bouche
Ce n’est que maintenant que je comprends pourquoi voyant dans ce vers palpiter la langue aveugle de la chauve-souris
Alors l’élan m’emportait d’emblée au second vers de la strophe celui qui ne rime point avec le premier apportant l’alternance d’une sonorité masculine à la rime
J’ai barre par les mots sur la réalité
J’étais si loin de cette chauve-souris que je me croyais jouant aux barres dans un préau d’école à
Neuilly ou peut-être à balleteck à l’instant où l’enfant jette la batte et court d’un arbre à l’autre d’un vers à l’autre sans s’inquiéter de la rime à
réalité facile à trouver dans cette langue avec simplement ce préjugé technique que ce ne soit pas un de ces substantifs de qualité qui font rime vulgaire mais un
participe passé par exemple d’un verbe comme précipiter ou tout autre écartant le mot électricité pourtant qui se présente parce que dans mon enfance le jouet
scientifique n’était point encore le radar et m’écar-tant de l’arbre du jeu à courir du j’ai barre je commence le vers suivant d’un hémistiche
Quand je branche le chant
Arrêt Échec
Parce que brancher m’entraîne à des mots qui n’entrent pas dans le cadre étroit de l’alexandrin
Que voulez-vous faire en vers avec la prise de courant
Outre que ce serait pour cette expression de cinq syllabes brûler le mot courant me semble-t-il dont je vais avoir besoin qui est brûlant et sombre un beau mot comme je les aime
Je ne brancherai pas
Je barre
Et peut-être que les mots introduits à la ligne d’avant me permettent de repartir
Les mots
J’écris
Il n’y a pas de mots
Non
Je corrige
Les mots semblent muets
Dans le système inconscient que je porte à cet instant en moi non les mots ne sont pas muets mais aveugles aveugles comme la chauve-souris au bec cloué
Tout cela ne vaut rien n’explique rien n’est pas clair
Je barre tout jusqu’au premier vers* le premier vers compris
Les mots laissons les mots tranquilles ils sont non pas le départ mais l’arrivée
Et là-dessus un quatrain s’écrit d’une haleine à partir d’une image toute différente et qui s’impose à moi les mots tus une image du silence le bec cloué
Le silence qu’il fait dans la chambre aux machines
N’attend que
L’homme enfin qui déclenche le chant
Je roule les cailloux dans ma bouche en marchant
Les mots mûrissent pour des fins que j’imagine
À vrai dire je ne sais pas si c’est tout de suite que j’ai fait la correction du deuxième vers remplaçant
L’homme enfin où enfin me semble une concession à ce goût de l’orchestration auquel trop souvent je cède pour prolonger
Louis Aragon